L’adoption internationale se plie de plus en plus aux lois du « marché ». Mais cela peut mener à de nombreuses dérives
Lors d’une émission diffusée sur Parenthèse radio, le 27 août dernier, un père adoptant au Vietnam évoquait les « dons imposés » aux orphelinats qui oscillaient, disait-il, entre 6 000 et 10 000 €. Yves Nicolin, président de l’Agence française de l’adoption (AFA), invité à l’émission, précisait alors que ces dons étaient laissés « à la discrétion des parents », avant d’ajouter : « Par contre, ceux qui ne donnent pas ou qui donnent insuffisamment, il faut savoir qu’ils mettent, entre guillemets, en péril l’adoption de futurs adoptants. Et quand je disais que dans certains pays, les Français passent pour des pingres, c’est une réalité. »Ces propos ont suscité la colère des responsables de la principale fédération des familles adoptives, EFA (Enfance et familles d’adoption), qui vient d’envoyer à Yves Nicolin une lettre de réaction assez vive Après avoir souligné qu’au regard des revenus mensuels de nombreux pays d’origine, 10 000 € était une somme « astronomique », cette lettre précise : « Il est normal que la France et les autres pays d’accueil cherchent à aider les pays d’origine à se doter de services de protection de l’enfance (…). Mais il est tout à fait anormal que le président de l’Agence française de l’adoption encourage par ses propos une attitude qui pourrait se résumer à la devise “donner plus pour adopter plus” : une telle attitude, qui par ailleurs dit clairement aux familles les plus modestes qu’elles sont “interdites” d’adoption, réduit l’adoption à une transaction et les enfants à une monnaie d’échange. »
"De moins en moins d’enfants adoptables et de plus en plus de demandes"
« Je n’ai jamais fait la promotion d’une telle attitude, j’ai voulu simplement expliquer une réalité, se défend Yves Nicolin. Une naissance biologique coûte cher, environ 15 000 €, payés par la collectivité. L’adoption elle aussi a un coût important. Les pays d’origine qui proposent des enfants réclament aux pays qui veulent adopter une forme de coopération humanitaire. Comme il y a de moins en moins d’enfants adoptables et de plus en plus de demandes, les autorités des pays qui utilisent l’adoption pour financer des orphelinats vont demander plus d’argent qu’avant : c’est une réalité et il ne faut pas se voiler la face. »Il est vrai qu’adopter un enfant à l’étranger coûte de plus en plus cher. Dans l’argent réclamé aux familles par l’AFA ou les Organismes autorisés pour l’adoption (OAA), il y a un certain nombre de frais fixes, qui peuvent se justifier : voyage, logement, traducteurs, démarches administratives, avocats parfois… Mais les familles se trouvent parfois soumises à des frais supplémentaires qui peuvent être sujets à caution. Notamment ceux destinés à payer les « intermédiaires ». En Russie par exemple, il existe des « facilitateurs » qui font payer des honoraires parfois exorbitants pour mettre en relation une famille avec un orphelinat. Très souvent aussi, il faut verser une somme supplémentaire destinée à financer des projets humanitaires ou de protection de l’enfance dans le pays d’origine. Celle-ci peut être directement versée à l’autorité centrale du pays ou à l’organisme officiel qui a servi d’intermédiaire, une pratique qu’EFA considère comme « normale ».
Une somme « laissée à la discrétion des parents »...
Mais on demande souvent aussi aux parents de donner directement une « enveloppe » à l’orphelinat au moment où ils viennent chercher leur enfant. Il peut s’agir d’une somme fixe établie à l’avance, comme en Chine (environ 5 000 €) ou d’une somme « laissée à la discrétion des parents », comme au Vietnam. « À l’AFA, on leur donne simplement une fourchette de prix qui nous semble raisonnable, souligne Yves Nicolin, pour éviter les abus. Par ailleurs, nous travaillons au Vietnam avec des orphelinats qui nous offrent les garanties que l’argent sera correctement utilisé. »C’est précisément cette pratique de l’« enveloppe » que la fédération des familles adoptives condamne. « D’abord parce que dans les pays où la corruption existe, il n’existe aucune garantie que les sommes versées serviront à la protection de l’enfance, souligne Janice Peyré, présidente d’EFA. Par ailleurs, en versant des sommes aussi colossales à des pays où les revenus sont si bas, on est en train de créer un appel d’air et d’inciter les familles à l’abandon. Surtout, on ne peut pas construire une relation avec un enfant sur la base d’une transaction. »Chez les adoptés adultes, cette question est très souvent évoquée. « Certains ont le sentiment d’avoir été achetés. Créer des liens familiaux dans ce contexte est difficile », souligne David Hamon, président de « Racines coréennes ». Pour Dominique Gawron, vice-présidente d’EFA et enfant adoptée, les choses doivent être claires : « Tous les enfants adoptés demandent un jour ou l’autre combien ils ont “coûté”. Il faut que leurs parents puissent leur répondre droit dans les yeux, sans hésiter, qu’ils n’ont pas été “monnayés”. »
Source : La Croix - Christine LEGRAND (29/09/08)